lundi 3 décembre 2007

Quand je suis allée à Cabourg

Mercredi 28 novembre 2007, à 8 heures, j’ai donc eu 35 ans.
Ca a commencé comme ça :

J’avais pris ma journée car il me semblait impossible de faire ce que je fais tous les jours : me lever, aller au travail, jouer wonderwoman etc etc… J’avais donc voulu une journée de liberté. Et je voulais aller à la mer. J’avais choisi Cabourg. Pas trop loin. Le festival du film romantique, peut être.
J’avais donc mis mon réveil à 9h. Ma mère m’a réveillée un peu plus tôt pour me souhaiter mon anniversaire la première (j’ai vu que j’avais eu des messages sur mon portable plus tôt encore).
Alors voilà, j’ai raccroché et je me suis retrouvée sous ma couette bleue. Seule.
Et j’avais 35 ans.
Cette fois, c’était fait. Rien à dire, rien à faire.
J’avoue, j’étais pas fière, seule sous ma couette bleue.
Il y a des années une amie m’avait dit : « tu sais, quand j’ai eu 35 ans, j’étais seule, sans enfant. L’horreur. Alors je me suis dit : si c’est encore pareil à 40 ans, j’adopte un enfant ».
Maintenant, cette amie a un mari et deux enfants.
J’avoue, j’avais alors pensé (30 ou 31 ans je crois) : « impossible que ça m’arrive à moi ! ». 35 ans, seule, ça me paraissait horrible et donc inenvisageable.
Bon bah n’empêche que j’y étais arrivée moi aussi.
Je n’ai pas pensé à de grandes décisions genre « je vais adopter un enfant ». J’ai plutôt pensé que je voulais que les choses changent.
Enfin passé le premier abattement.
Je me suis donc habillée, j’ai mis mes vieilles baskets et mon vieux jean, j’ai pris ma p’tite auto et avant pour Cabourg.

L’autoroute, les stations services pour s’acheter en toute liberté du coca et des m&m’s.
La liberté.
Pas mal de coups de fil pour me souhaiter mon anniversaire.
Mon émerveillement un peu bêta devant les chevaux et les (très) belles vaches de la campagne normande.
Puis arrivée à Cabourg.

Pas un chat.
Enfin si, un !
Un peu déstabilisée la Caro. Du genre : « crois tu vraiment que tu vas pouvoir échapper à tes 35 balais en venant dans un trou paumé où y’a pas un péquin ?? » (désolée pour les habitants de Cabourg, mais Cabourg au mois de novembre, faut quand même avoir le moral – et je ne l’avais pas justement !!).

Enfin, si, y’avais un restaurant ouvert. Je n’avais pas très fin mais comme j’avais (comme d’hab !) furieusement envie de faire pipi, j’ai décidé d’aller y déjeûner. C’était une première, je crois bien que je ne suis jamais allée seule au restaurant. J’étais loin d’être la seule. Il y avait notamment les VRP ! Mais je dénotais car je n’étais pas du tout habillée en commerciale. S’ils s’étaient posé la question, les gens, ils se seraient demandé ce que je faisais à Cabourg, un 28 novembre, à manger du poisson au « Hastings » (le fameux restaurant).
Moi aussi je me demandais ce que je faisais là !
Je me disais qu’il devait aussi y avoir des couples illégitimes. Mon imagination s’arrêtant rarement, je me suis mis dans l’idée que Cabourg au mois de novembre devait être le lieu des amours clandestines… Allez savoir…
Je ne me suis pas éternisée au resto et suis vite allée trouver ce que j’étais venue chercher : la mer.

C’était beau, évidemment. La mer, d’un vert gris très particulier. Pas beaucoup de vent. Mais assez froid. Le crissement des coquillages sous mes baskets. Le bruit de l’eau. Ces étendues limpides.
Personne.
La plage que pour moi.
Seule encore.
Le vertige, un peu.
C’est le moment où mon frèrot a appelé pour me souhaiter mon anniversaire. J’étais au bout du monde.
Il ne savait pas que j’étais à la mer, il était surpris, du genre « qu’est ce qu’elle a encore inventé ?? ».
J’étais un peu triste.
Beaucoup de gens avaient pensé à moi et pourtant je me sentais oubliée du monde sur ma plage avec mes coquillages.
Alors, au téléphone, dans un élan de narcissisme, j’ai écrit ça :

Et j’ai dit à mon frère : « tu sais, si ça ne change pas, il n’y aura pas de 36 ». Il n’étais pas content mon frère.
Quand j’ai raccroché, je me suis dit : »ouvre tes yeux et tes oreilles et RESPIRE, t’es venue à la mer pour RESPIRER ».
La morosité est brûleuse de passion et rend aveugle.
Il fallait que j’ouvre à nouveau mes yeux.
Alors je me suis mise à regarder partout et à prendre des tonnes de photos, de trucs complètement anodins, je mitraillais.
Tout d’abord, mes nouveaux copains :

Puis n’importe quoi, les coquillages, les couteaux,

l’écume, le moindre grain de sable.
Et alors j’ai fait des rencontres :

Un bidon qui tenait tout seul, comme en lévitation.

Une citrouille entière, perdue là, qui avait visiblement goûté à l’eau mais était intacte.

Une plume coincée dans une branche.

Mais qui est donc ce Léon ??

Un squelette de je ne sais pas quoi, au milieu du sable et des coquillages. Mais d’où vient ce squelette ??
(ndlr : imaginez moi à quatre pattes, emmitouflée, fêtant mes 35 ans sur une plage de Cabourg, me demandant ce qu’était ce squelette d’à peine 10 cm… !)

Oh, ne cherchez pas, je n’ai pas eu de révélation, personne n’est descendu du ciel pour m’apporter LA solution, aucun prince charmant n’est apparu sur la plage, courant vers moi me hurlant « Caro c’est toi que j’attends » ! Non. Je ne m’y attendais pas non plus, vous savez. Enfin, presque pas.
Mais, peu à peu, me forçant à ouvrir les yeux, me forçant à retrouver ce qui fait ma sève, la curiosité et la passion, j’ai retrouvé un peu de légèreté. Et puis le grand air qui rosissait mes joues me faisait le plus grand bien.
Après quelques kilomètres sur la plage, j’ai fait demi tour en passant par le remblais avec la très belle balustrade du front de mer de Cabourg :

J’ai croisé quelques promeneurs ou cyclistes.
Puis le fameux « Toutounet’ » :

Pour la première fois depuis des siècles, ça m’a arraché un sourire (notez le "saisissez la déjection" !!!!)
Ensuite, même si les maisons du front de mer sont beaucoup moins belles que celles de l’intérieur, je vous ai quand même rapporté ces deux photos :

Celle là n’est pas belle, mais son nom est accueillant.


Celle là est très belle.

Un peu plus loin je suis passée devant le Casino et le Grand Hôtel où j’imaginais les premiers privilégiés qui découvraient les bains de mer et les joies de la plage (les élégantes de Chanel ou de Poiret, des années 20 – belle expo à ce sujet au Musée de la Mode Galliéra à Paris, rue Pierre 1er de Servie, d’ailleurs, à ce propos).Drôle d’atmosphère que celle du mois de novembre : je me croyais dans la chanson de Cabrel « Hors saison », c’est exactement ça : les tables sont dressées mais personne ne viendra dîner, les chandeliers côtoient les matelas de plage rentrés jusqu’aux prochains rayons de soleil.
C’est ce que je voulais, je crois : me retrouver moi aussi « hors saison », hors de ce temps qui m’accablait.
Ensuite j’ai fait un petit tour dans le centre ville de Cabourg.
J’ai été surprise et émerveillée de découvrir une boutique de la Belle-Illoise, une conserverie bretonne qui produit des sardines, de la soupe de poisson et tous les produits issus de la mer.
Vous allez trouver ça ridicule mais je suis entrée et j’ai acheté de la crème de sardine au whyskie. C’est (l’une) de mes madeleines de Proust : quand j’étais petite, ma grand-mère nous emmenait tous les ans au Croisic (près de la Baule) et nous allions à la Belle Illoise acheter de la crème de sardine au whyskie et c’était délicieux.
Petit à petit, je me disais que j’étais bien contente de mon escapade et de mon initiative.
J’ai même rigolé (un peu jaune en pensant à mes dernières déconvenues amicales) quand j’ai vu ce magasin :

Il était un peu avant 16 heures, j’ai repris ma petite auto et le chemin de l’autoroute. A la radio il y avait Jean Pierre Marielle qui parlait.
J’avais fait l’école buissonnière, j’étais hors du temps.
Quelques embouteillages en arrivant à Paris. Mais pas assez pour m’empêcher d’aller au cinéma pour conclure ma journée (pas question de rentrer seule chez moi et de passer une soirée – malheureusement – habituelle). J’avais choisi d’aller voir « Il était une fois », le dernier Disney.
Merveilleuse façon de conclure cette journée : une histoire de princes et de princesses qui donnait à chacun l’envie d’ouvrir son cœur et d’y croire. Un film anti cynisme, une volupté d’espoir pour peu qu’on s’y laisse un peu prendre.
Et je me suis laissée prendre.
En sortant je me suis dit que ce serait l’année des changements.
Vous allez voir ça.